Le corps féminin prisonnier des modes

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Le corps féminin prisonnier des modes

L'évolution du corps d'une femme et sa morphologie.

On vous explique tout de la préhistoire à nos jours !





Temps de lecture estimé à 9 minutes

Le corps fait l’objet de nombreux maux, conséquence d’une société exigeante et réfractaire à l’inclusion et l’acceptation de l’autre tel qu’il est. Selon Isabelle Queval, « [Le corps] est de mieux en mieux connu, entretenu, soigné, réparé et appareillé »[1]. Nous avons développé, consciemment ou non, une obsession vis-à-vis de notre corps et de celui des autres. Mais d’où provient cette monomanie du corps « parfait » ?

Une beauté hors normes

La mode fait souvent référence aux grandes tailles comme étant « hors normes », c’est-à-dire dont les spécificités sortent de l’ordinaire. Dans cette série d’articles consacrés au corps, nous allons voir qu’il est difficilement envisageable, voire impossible de définir une norme concernant la taille du corps. En effet, cela dépend de plusieurs critères (moraux, sociaux, historiques, culturels, etc.).

Comment en est-on arrivé à rejeter certaines typologies de corps ? Notre inconscient collectif nous laisse croire qu’il en a toujours été ainsi. Mais en fait il n’en est rien, c’est même tout le contraire. Nous allons vous aider à déconstruire cette perception figée du corps féminin.

Au final, qu’est-ce qu’une grande taille ?

Chacun a sa vision de la grande taille. Ce qui est étonnant, c’est que chaque pays définit le concept de grande taille différemment. En France, on parle d’une taille 42 et plus, tandis qu’aux États-Unis il s’agit davantage d’un 48/50. Plus étrange encore, on observe une hétérogénéité des tailles au niveau des marques, et ce, au sein d’un même pays ! (pour en savoir plus, notre article sur le vanity sizing vous explique tout de cette divergence des tailles). Preuve que cette notion n’est pas clairement établie.

La culture du front haut

La beauté est une notion intrinsèquement liée à celle de grande taille. Ce que nous jugeons « beau » est une perception subjective qui relève de notre éducation et de notre culture. Nous sommes influencés par ce qui nous entoure, le milieu dans lequel nous évoluons, mais aussi par ce que nous apprenons plus ou moins consciemment depuis notre plus jeune âge. Maria Michela Marzano précise que « le corps est construit par la culture, il diverge donc selon les sociétés » dans son livre « Penser le corps ».

Par exemple, au XVIème siècle, les femmes de la noblesse européenne se rasaient les cheveux pour faire apparaître un front dégarni. Appelée la coiffure du front haut[2], c’était un critère de beauté et un signe de fierté. On trouverait cela totalement déroutant aujourd’hui !

Depuis des décennies, femmes et hommes considérés « de grandes tailles » sont pointés du doigt et marginalisés. Les femmes luttent pour atteindre un standard de beauté éphémère au corps idéalisé quasiment hors de portée. « La beauté est dans les yeux de celui qui regarde » disait Oscar Wilde dans « Le déclin du mensonge » (1891). Cette citation ne pourrait être plus exacte. De la préhistoire à nos jours, les modèles de beauté n’ont cessé d’évoluer. Comment la perception du corps des femmes a-t-elle changé dans la société ?

Grandes tailles : le yoyo perpétuel du corps féminin

Les Vénus de la Préhistoire

Les traces les plus anciennes de représentation féminine datent de la Préhistoire, où le corps de la femme est avant tout synonyme de fécondité. Le « rôle » des femmes est d’apporter la vie. C’est ce qu’évoque la Vénus Impudique, découverte en 1864 sur le site archéologique de Laugerie-Basse en Dordogne. Une déesse sans tête, sans pieds, sans bras faisant de son organe reproducteur le centre de l’attention. Cette représentation artistique est identique à la statuette de la Vénus de Willendorf. Les femmes étaient alors appréciées pour leurs courbes et leurs membres charnus (cuisses, ventre, bras et poitrines), symbolisant la fertilité.

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Vénus Impudique, statuette en ivoire de mammouth de la culture Magdalénien découverte en 1864, (17 000 à 14 000 ans avant le présent)

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Vénus de Willendorf, statuette en calcaire de la culture Gravettien découverte en 1908 et conservée au Musée d’histoire naturelle de Vienne (Autriche), (vers 24 000 / 22 000 avant le présent).

La ligne pharaonique

Dès l’Antiquité (3300-3200 avant notre ère à 476), les standards de beauté sont déjà hétéroclites. En Égypte, on valorise les corps fins, élancés et à la taille large comme l’immortalise les fresques de la reine Ahmès-Néfertary. À l’inverse, en Grèce, les corps sont voluptueux et bien en chair. Toutefois, les premières recommandations diététiques font leur apparition. Socrate recommandait déjà : « Que chacun s’observe et prenne note de quelle nourriture, quelle boisson, quel exercice lui conviennent et de comment les utiliser pour maintenir une santé parfaite »[3]. Hippocrate, père de la médecine, dispensait ses enseignements sur l’influence de la nourriture sur le corps humain. Pour les Grecs, l’alimentation est considérée comme une hygiène de vie. Elle était d’ailleurs réputée pour sa frugalité particulièrement sévère à Sparte.

Derrière les grandes tailles se cache toute une symbolique

Ambivalence grecque

évolution corps femme morphologie

À travers l’Histoire, le fait d’être bien en chair est souvent un signe de richesse pour les hommes et de beauté pour les femmes. Mais les personnes obèses sont accusées de paresse comme l’explique Julia Csergo dans son livre « Trop gros ? Les représentations de l’obésité », paru en 2009. Les Grecs ont le culte du Corps, on le perfectionne, ni trop mince, ni trop gras. La locution « kalos kagathos » (« beau et bon ») illustre l’état d’esprit de la société de l’époque. Selon Florence Gherchanoc, docteure en Histoire à l’Université de Paris, on considère le corps comme le reflet de la noblesse de son âme.

Au Moyen-Âge, le christianisme impose une vision paradoxale des corps qui peut être sujette à plusieurs interprétations. D’un côté, pour une certaine caste, les formes font l’objet d’admiration et sont synonymes d’opulence, d’abondance et de richesse. De l’autre, la gourmandise, l’un des 7 péchés capitaux, réprime sévèrement les corps trop charnus. La pureté du corps de la femme est aussi une symbolique très importante.

La Renaissance morphologique

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The Birth of Venus (Botticelli) 1

Les canons de beauté de la Renaissance sont pulpeux. La fameuse peinture de Sandro Botticelli, La naissance de Vénus (vers 1484-1485) dépeint à la perfection ce corps aux proportions absolues de la femme de l’époque. Au XVIIème siècle, le corset réduit la taille des femmes, soulignant la poitrine et les fesses, attributs symbolisant là encore la fertilité.

Les pins-ups de Hollywood à l’ère des « super modèles »

Grand saut dans l’histoire pour arriver à la fin du XIXème siècle — début XXème siècle, période marquée par l’essor de la Gibson Girl. Icône américaine de la Belle Époque, sa silhouette provient d’un dessin réalisé en 1887 par Charles Dana Gibson. Représentée avec des formes généreuses, grande et une taille de guêpe[4], Camille Clifford et Evelyn Nesbit sont les modèles qui l’incarnent le mieux.

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Dessin de Charles Dana Gibson, 1902

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Camille Clifford, 1906

En 1920, la silhouette s'amincit, les cheveux sont coupés. La Garçonne, à l'image de Louise Brooks, possède une silhouette androgyne. On remplace le corset par une gaine souple : pour bien aplatir la poitrine, les femmes utilisent un bandeau. Mais cette tendance ne sera que de courte durée avec la popularité croissante de l’industrie cinématographique.

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Louise Brooks, 1927

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Formes sulfureuses sur grand écran

Qui ne connaît pas l’influence qu’a eu Marilyn Monroe et ses courbes sur le XXème siècle ? Hollywood a su imposer les codes de la pin-up dans le monde entier. Poitrine généreuse, lèvres pulpeuses et tenues accentuant l’ensemble bien évidemment ! Mais ne vous détrompez pas, Marilyn Monroe, la femme à la beauté naturelle la plus connue au monde, a aussi eu recours à la chirurgie esthétique.

Dans les années 60, les « Swinging Sixties » marquent une empreinte importante dans le monde de la mode. Elles façonnent les standards de beauté des femmes, qui passent encore une fois des courbes à la finesse. Londres devient alors capitale de la mode, berceau de la mini-jupe. En 1970, la minceur est acclamée. Twiggy est probablement le top model féminin le plus populaire de cette période. S’ensuivra une période du culte de la minceur avec le boom des programmes, des régimes en tout genre et de pratiques sportives (jogging, aérobic).

 

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Le phénomène Lolita

Quelques années plus tard, la popularité grandissante des top-modèles des années 80 (Naomi Campbell, Claudia Schiffer, Cindy Crawford, etc.) assoit encore un peu plus l’influence des magazines sur la société. C'est aussi l’essor de la morphologie en X. La fameuse taille de guêpe aux épaules surdimensionnées soulignées par les iconiques épaulettes XXL.

La maigreur atteint son apogée dans les années 1990. L’idéal féminin, incarné par ce que certains appellent « Héroïne chic », repose en réalité sur le corps de jeunes filles. Kate Moss, mannequin mondialement connue, n’a que 14 ans quand on la repère. Comment une femme peut-elle se sentir bien dans sa peau si la société la compare sans cesse à une morphologie « maladive » impossible à maintenir ou à atteindre ?

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Et aujourd’hui ?

Nous sommes entrés dans l’ère de la chirurgie esthétique. Chacun peut atteindre son idéal, ce qu’il considère comme étant le corps « parfait ». La tendance actuelle est contradictoire : elle valorise les corps avec des formes, mais qui restent sveltes. Pour y parvenir, on hésite de moins en moins à recourir aux implants mammaires et/ou fessiers, à la lipoaspiration/lipofilling ou encore à des injections de botox. Poussant la rigueur toujours plus loin, la société a pourtant accepté cette exigence de corps augmenté. Le succès des célébrités (quasi) entièrement transformées, des gaines amincissantes et des culottes « remonte-fesses » en est la preuve.

De plus en plus, lifté, masqué, liposucé, augmenté, en bref fabriqué à coup de bistouri et modifié de manière permanente ou non.

A. Millet, Fabriquer le désir, Histoire de la mode de l’Antiquité à nos jours

La diversité est présente dans la nature, alors pourquoi s'inflige-t-on de pareilles tortures ? Chacun est unique, soyons en fier.

Le corps féminin symbole du chic ou de l’abondance : quel est votre camp selon votre morpho ?

Vous l’avez compris, la beauté est un concept en constante mouvance. Aujourd’hui, on désigne comme une grande taille — et à tort, souvent de manière péjorative — des formes autrefois prisées. La société façonne et refaçonne l’idée même de beauté et de perception du corps des femmes. Plutôt arrondie pour représenter fertilité et abondance, plutôt aminci et longiligne pour matérialiser le chic et l’accomplissement professionnel. Cela signifierait-il que, dans l’imaginaire collectif, une femme ronde ne peut accéder aux mêmes classes sociales qu’une femme mince ? Si ce sujet vous intéresse particulièrement, nous vous recommandons le livre piquant d’Alice Pfeiffer « Je ne suis pas Parisienne ».

Nous espérons que cette première partie vous a plu et vous a donné envie d’en savoir plus. Retrouvez dès à présent notre série d'articles ci-dessous, le prochain s’intéressant plus particulièrement aux idées reçues sur les standards de beauté.

Sources

Évolution des standards de beauté

Le corps dans l’art

Grandes tailles : l’évolution du corps féminin à travers l’Histoire

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  • Audrey
    Répondre

    A ce sujet, je vous invite à lire le livre « beauté fatale, les nouveaux visages d’une aliénation féminine » de Mona Chollet, très instructif !

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La seconde main, sérum et venin d'une industrie malade - headerGrandes tailles, la propagande des standards de beauté