Boom de l’occasion : retour sur les origines de la seconde main

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Boom de l’occasion : retour sur les origines de la seconde main

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Vêtements d'occasion : retour sur les origines de la seconde main

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En pleine expansion, le marché de la seconde main affiche une progression annuelle 20 fois supérieure à celle du neuf. Estimé 36 milliards de dollars (GlobalData) en 2021, il devrait doubler d'ici l’année prochaine. Des fripes et des vêtements d'occasion

Le marché de l’occasion a connu un grand boom ces dernières années. Vous avez sûrement vu émerger les offres de seconde main chez bon nombre des grands noms du prêt-à-porter. Selon le rapport annuel de 2021 du géant américain de la revente Thred Up, le marché total de l'occasion pourrait atteindre 74 milliards d’euros en 2030 (84 milliards de dollars). Il devrait ainsi dépasser et même doubler le marché de la fast fashion ! Mes fripes vêtements occasion

Et si vous pensiez que la seconde main est un phénomène récent, vous vous trompez allègrement… Ce que vous allez lire sur l'histoire des fripes, au cœur de la mode dès le Moyen-Âge, va vous surprendre !

La fripe, nouveau phénomène ?

Les modes de la cour de Bourgogne et des grandes villes européennes

À la fin du XIVème siècle, une nouvelle mode connaît un grand succès dans toutes les cours européennes. Freppe en ancien français, ou frappa en latin médiéval, signifie chiffon ou vieux vêtement. À l’époque médiévale, le prêt-à-porter n’existe pas à l’exception de quelques pièces vendues dans les boutiques de merciers (coiffes féminines, boutons, ceintures…). Le vêtement est alors réalisé exclusivement sur mesure. Il est régulièrement reprisé, recoupé et transmis de génération en génération. Les maîtres donnent parfois leurs vêtements usés en guise de paiement à leurs serviteurs.

Un marché de seconde main existe bel et bien à cette période. Il est d’ailleurs essentiel et permet la circulation et la création des modes. De nombreux lieux se font connaître grâce à cette économie circulaire. Le Mercato Vecchio (« vieux marché ») de Florence par exemple, populaire pour ses vêtements d’occasion de qualité à bas prix. Il ne s’agit pas de simples étals couverts de bijoux et d’étoffes luxueuses, mais bien d’un système marchand aux règles strictes établies par la Guilde vénitienne des marchands de vêtements d'occasion, l'Arte degli Strazzaruoli.

Telemaco Signorini, Mercato Vecchio a Firenze 1882-83 39x65,5 cm

Mercato Vecchio a Firenze, Telemaco Signorini, 1882-1883

Naissance des fripes

Le terme de fripe désigne le lambeau d'étoffe ou la déchirure d'un vêtement. Cette définition coïncide avec l’image péjorative que certaines personnes ont aujourd’hui de la seconde main. En réalité, les vêtements d’occasion étaient déjà très prisés à l’époque. On ne faisait d’ailleurs pas de distinction entre vêtements neufs et d’occasion. Il était tout à fait commun de retourner les vêtements récupérés et de les remettre en circulation. D’où l’expression « retourner sa veste » !

Au XVème siècle, orner les bords de ses manches et de ses chausses de bandes de tissus récupérés est une pratique commune. On parle aussi de « découpures », de « déchiquetailles » ou de « déchiquetures ». Elles sont très en vogue à la cour de Bourgogne (visibles sur les manches de Giovanna Cenami du tableau de Jan van Eyck). Bien évidemment, seuls les membres de la plus haute aristocratie peuvent se permettre l’extravagance de taillader leurs vêtements.

Van Eyck - Arnolfini Portrait

Les époux Arnolfini, Jan Van Eyck, 1434, huile sur toile

A noter : découpes sur le bas des manches de Giovanna Cenami.

Après un demi-siècle d'existence, les freppes disparaissent presque totalement entre 1440 et 1450. Elles font place à ce qu’on nomme la « monstre » : une longue découpe de la manche du vêtement qui débute à mi-bras et s'arrête au-dessus du poignet. La chemise devient alors un élément visible et aussi un enjeu de mode.

Le Carreau du Temple, the place to be !

Au XIXème siècle, de nombreux vêtements arrivent en transit à Paris. On les redistribue dans toute l’Europe et fait de Paris (Quartier du Marais) la plaque tournante du commerce fripier. Entre 1809 et 1811, les hangars du Carreau du Temple sont construits à Paris. Ce lieu mythique devient, dans la seconde moitié du XIXème siècle, le premier marché de fripes parisien. 1880 échoppes de fripiers constituent le marché aux vieux linges. Les vêtements sont rachetés auprès des hôpitaux, monts de piété, ministère de la Guerre (uniformes) ou aux morgues. Ils sont ensuite répartis par type et niveau de qualité dans 4 carrés :

  • Pour les tapis, soieries, rubans, gants, plumes et fripes en bon état (parfois à peine portés), le Carré du Palais-Royal
  • Le linge de maison au Carré de Flore
  • La ferraille et fripes bas de gamme au Carré du Pou-volant
  • Et la petite maroquinerie, chaussures, cuir au Carré de la Forêt-Noire

Entre ces 4 halles et la Rotonde se trouvait un « carreau », terre-plein où fonctionnait une bourse du vêtement d’occasion, qui durera jusqu’à l’après-guerre.[1]

Ancien marché du Temple

Vue de l'ancien marché du Temple, démoli en 1863

Berceau économique et social

Les halles, bien plus qu’un berceau économique, est aussi un lieu de rencontre entre classes sociales. Ouvriers comme bourgeois s’y côtoient. Cet espace préfigure déjà l’organisation des grands magasins, à une époque où les différences de classes sont de plus en plus marquées. Dès 1830, on parle également de friperies de luxe. Celles-ci sont uniquement constituées de fripes faites de matières nobles et ciblent les classes bourgeoises. C’est la première apparition d’un phénomène : la gentrification[i] des friperies. Elle a fait son grand retour ces 5 dernières années, preuve de l’existence d’un cycle perpétuel dans la mode.

En pleine Révolution Industrielle, la démocratisation des transports ferroviaires entraîne la circulation des vêtements dans toute l’Europe. Londres et Paris s’imposent rapidement comme les deux principales places européennes de la fripe. Au Temple, en 1867, on importe 260 tonnes de vêtements et on en exporte 1 838 tonnes[2]. Si les principaux destinataires demeurent les pays européens, l’afflux de vêtements est tel que le Carreau du temple exporte jusqu’en Afrique. L’Algérie capte d’ailleurs à elle seule 5 % des flux en 1860.

Peu à peu, avec l’essor des Grands Magasins sous la Troisième République, les fripiers  sont délaissés. En effet, on voit apparaître le prêt-à-porter qui permet d’acheter du neuf à moindre coût. À cela s’ajoute le développement de l’hygiénisme et les découvertes de Pasteur sur les microbes qui continuent d’affaiblir l’enthousiasme général à l’égard des friperies.

La « bohème » conquise par la fripe

La rue de l’École de Médecine, au cœur du Quartier Latin, concentre des plus petits fripiers spécialisés dans différentes époques et accessoires. Étudiants et artistes (que Charles Aznavour appelle joliment « la bohème ») se mêlent dans ces friperies de la rive gauche. Friands de ces vêtements pour leur bas-prix, ils sont surtout considérés comme un outil de distinction entre les classes bourgeoises et populaires : il ne fallait surtout pas s’habiller comme ses parents ! Ce sont les premiers à (re)populariser la seconde main. Utilisé comme moyen de contestation contre une société divisée, l’habit d’occasion porte un message politique fort.

Le cœur de la fripe parisienne menacé

En 1892, il ne reste plus qu’une centaine de marchands au Carreau du Temple. La Ville de Paris envisage dès 1901 la démolition d’une partie des pavillons désertés. Dans les années 70, une décentralisation de la fripe s’opère vers Saint-Ouen, Montreuil et Vanves. C’est notamment à cette période que la folie pour les vêtements américains commence ! Les riverains restent très attachés au Carreau du Temple et parviennent à inscrire l’unique bâtiment restant à l’inventaire des Monuments historiques (1982).

L’histoire des fripes est loin d’être terminée : les nouvelles générations remettent les vêtements d’occasion au goût du jour. Selon Rémy Oudghiri, directeur général adjoint de Sociovision (filiale d’études sur la consommation du groupe IFOP) près de 60 % de Français ont acheté des produits d’occasion en 2019, pourcentage qui atteint 82% pour les 18-25 ans en 2021 (IFOP pour Rakuten, septembre 2021).

Jusque-là, ce marché pouvait être qualifié de responsable et écologique. Mais depuis quelques années, son modèle économique a énormément changé. L’arrivée de la fast fashion a bouleversé la façon dont nous fabriquons et consommons nos vêtements. Nos habits ne sont plus aussi qualitatifs qu’auparavant : matières synthétiques, finitions approximatives, etc. Une baisse de la qualité qui allège l'argument durable accordé aux vêtements d’occasion. La surconsommation, là encore due à l’arrivée de la mode rapide, s'introduit petit à petit dans les comportements des adeptes de l’occasion. La seconde main devient une excuse pour remplacer sa garde-robe tous les 3 mois. S'ajoute à cela le phénomène de gentrification des friperies qui entraîne une hausse des prix des vêtements « vintage ».

Ces facteurs menacent largement les discours écologiques mis en avant par les acteu·r·ice·s du milieu. Enfin, l’opacité du circuit de collecte ne permet pas de répondre simplement à la question : où vont les vêtements que l’on donne ?

Sources

[1] Site web du Carreau du Temple

[2] La veste retournée : Conversions, retournements et détournements dans le vêtement de seconde main au xixe siècle

[i] Gentrification : phénomène qui se caractérise par la transformation de la perception que nous avons de quelque chose considéré comme « non raffiné » ou de « catégorie sociale populaire » pour qu'il soit plus acceptable parmi les classes moyennes et supérieures. En d'autres termes, la gentrification est le fait de voir le profil social d'un lieu ou d’une chose se modifier, s'embourgeoiser.

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