Heide Baumann : J’ai assisté aux dérives de la Fast Fashion (Aatise)

J’ai assisté aux dérives de la Fast Fashion (Aatise)

Interview de Heide Baumann

Les dérives de la fast fashion ne sont pas sans conséquence.




Temps de lecture estimé à 5 minutes

Entre nous, la première collection Aatise, c’est un peu la garde-robe dont nous avons toutes besoins : un brin rétro et moderne à la fois, un esprit rebel qui s’affranchit des dictats de la fast fashion…. Alors quand on a commencé à échanger avec Heide et Julia sur notre vision de la mode éco-responsable, j’ai senti que nous étions sur la même longueur d’onde. Beau, bien et bon, y’a pas à dire, ça donne du boost au moral ! Entretien avec Heide en exclusivité.

Quand as-tu créé Aatise et pourquoi?

Travaillant depuis 30 ans dans le textile/ habillement, j’étais aux premières loges lorsque la filière a été délocalisée à l’étranger et j’ai pu assister aux dérives de la Fast Fashion. Le problème majeur : des promos non-stop pour attirer les clients au détriment de la qualité des vêtements et de l’environnement.

Ce qu’il faut savoir c’est qu’aujourd’hui le poids de la démarque dans le secteur du Prêt-à-Porter féminin en France est de 43%. Cela signifie concrètement qu’on estime qu’une fois en boutique, un vêtement affiché en début de saison à 100€ sera vendu 57€ en moyenne (estimation officielle de la Fédération Française du Prêt-à-Porter Féminin).

Ainsi, et pour garantir le maintien de leur chiffre d’affaires, les marques doivent vendre deux fois plus de vêtements pour atteindre leurs objectifs. Il faudra donc vendre moins cher, mais plus, ce qui veut dire plus de promotions. Vous voyez le cercle vicieux ?

Et comme les marques achètent à l’étranger à bas prix, et que ce système leur permet malgré tout de conserver des marges confortables, rien ne change.

Et le consommateur là-dedans ? Il pense faire une « affaire » en achetant des vêtements « jetables », usés au bout de 5 lavages, et de toute manière démodés par la collection en rayon la semaine suivante.

Nous ne pouvons pas à l’horizon 2030 laisser un tel gaspillage de ressources naturelles – avec les conséquences catastrophiques sur l’environnement que cela induit – ainsi perdurer sans proposer des alternatives.

Quels engagements souhaites-tu valoriser ?

Le savoir-faire français, l’écoconception, et la gestion des ressources durables sont les engagements qui guident mon action : l’objectif est de montrer qu’il est possible de conjuguer style et durabilité. Mode et éthique. En un mot d’être une Eco Fashion Activist.

Quelles sont les difficultés auxquelles tu as dû faire face ? Comment as-tu réussi à les résoudre ?

Ce qui me vient spontanément à l’esprit, c’est qu’aujourd’hui, il est difficile de fabriquer en France. Il n’y a plus beaucoup d’acteurs et les fabricants travaillent souvent uniquement pour les marques de luxe. De plus, la recherche et le prototypage des vêtements coûtent très cher et représentent un grand investissement.

En fabriquant en France je me suis vite aperçue que nous ne pourrions pas fabriquer et supporter des stocks en même temps. Cela m’a conforté dans l’idée que faire de la précommande le business model d’Aatise était la solution.

Quel a été ton cheminement personnel vers la mode éco-responsable ?

Il y a quelques jours, j’ai discuté avec une femme de mon âge qui travaille dans l’administration. La conclusion de cette conversation était que notre génération avait un lourd fardeau à porter : celui d’avoir été passive pendant des décennies ! Entre les années 95 et les années 2015 – pendant 20 ans – nous étions comme endormies, par la mondialisation, l’augmentation de notre consommation et la taille de notre penderie etc. Mais finalement nous ne sommes pas plus heureux avec toutes ces choses autour de nous qui n’ont pas ou peu d’utilité (seulement 30% des vêtements sont réellement portés).

Je refuse de tout laisser partir à l’étranger et de n’offrir aucune perspective à nos enfants et à nos petits-enfants. Nous ne pouvons raisonnablement pas devenir uniquement un pays de "services". Il faut continuer de produire en France et s’appuyer sur des ressources naturelles disponibles localement pour éviter l’impact CO2 énorme que produit la Fast Fashion.

Comme je le dis souvent : c’est ridicule de faire voyager tous les tee-shirts que vous achetez à 10 ou 15 euros une fois et demie autour de la terre. L’impact sur l’environnement, sur les espèces, sur les écosystèmes sont énormes et si nous sommes déjà en train d’en payer les frais, notamment avec les dérèglements climatiques, ce n’est qu’un début.

Quelle mode/style as-tu envie de défendre ?

Un style de vie raisonné, réfléchi. Ne fabriquer que ce dont nous avons besoin ! Ralentir la surconsommation à outrance avec la publicité qui nous fait croire que nous serons plus heureux en consommant plus !

Le sujet de rédaction de mon fils en 3ème pendant les vacances scolaires était : « faut-il consommer pour être heureux ? » Il en a conclu que non, mais je vous laisse réfléchir à votre réponse personnelle !

Pour quel type de femme ?

Aatise s’adresse aux femmes engagées, mais pas que. L’idée, c’est qu’avec ce système, nous bousculons les règles traditionnelles. Celles qui veulent qu’un designer décide de ce que nous allons porter dans notre quotidien. Nos créations s’adressent à toutes les femmes qui désirent reprendre le pouvoir sur leur consommation. Mais avant tout sur leur style en co-fabriquant leurs vêtements sur le site !

Le concept de aatise.com est celui de la crowdfashion, c’est-à-dire de la mode participative, par précommandes. Nous ne fabriquons nos vêtements que si suffisamment de personnes ont voté pour leur conception. De même, en amont des campagnes, au moment du processus créatif, nous proposons aux membres de notre groupe Facebook Team Aatise de co-concevoir avec nous le design des produits en votant pour une forme, un tissu, une pièce préférée. Enfin, dans un futur un peu plus lointain, nous souhaitons proposer aux créateurs de tous les horizons et affinitaires avec nos valeurs de venir déposer leurs produits sur le site. Et pourquoi pas, de profiter de nos outils de production.

Vous l’aurez compris : avec ces dispositifs de co-conception, de co-fabrication et de co-création, nous souhaitons nous adresser à tous ceux qui souhaitent que la mode soit l’affaire de tous. Pour le moment, nous ne faisons que des vêtements pour femmes. Mais que les hommes se rassurent, nous travaillons activement sur un projet qui leur sera dédié… je n’en dis pas plus !

Quelle est ton inspiration mode du moment dans ta vie quotidienne (personnalité, créateur…) ?

Je trouve le travail que fait Emma Watson pour promouvoir la mode responsable très encourageant. Cela prouve qu’être engagé n’est pas antinomique avec le glamour, la joie de vivre, et l’énergie. De manière plus générale, je suis très inspirée par les initiatives qui naissent ici et là pour une mode plus juste, mais pas que.

À Bordeaux, ma ville de cœur, il existe une effervescence magnifique et magique avec des regroupements de projets innovants et humains qui ont pour ambition simple d’être plus en lien avec les autres, dans le respect la planète. Ce sont mes échanges avec les gens qui initient ce genre de mouvements qui, chaque jour, m’apportent ma dose d’inspiration ! Ma muse, c’est le quotidien qui bouge pour un avenir plus juste.

Quelle est ton rituel beauté ? / ton vêtement fétiche ?

Un tee-shirt 100% lin compostable, à porter par-dessous une petite veste ou chemisier selon la saison.

dérives fast fashion

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